UsageRight

English Version

La propriété intellectuelle comme instrument de la responsabilité sociale et environnementale de la recherche

Le droit de la propriété intellectuelle est une construction qui date du XVIIIe siècle et qui avait pour but de rémunérer les auteurs d'oeuvres de l'esprit (artistiques ou intellectuelles). On semble loin de la possibilité de protéger des résultats scientifiques, néanmoins quelques éléments de la construction de ce droit permettent de l'envisager pour cette fin.

Tout d'abord les oeuvres scientifiques se sont vues progressivement protégées par droit de la propriété intellectuelle héritée des artistes. Les inventions sont protégées par les brevets, qui ressortent de la propriété industrielle, tandis que les bases de données, logiciels, articles, documents, ressortent de la propritété littéraire et artistique. Le droit est organisé ainsi :

Propriété Intellectuelle

Les aspects du droit de la propriété intellectuelle qui intéressent la production scientifique sont donc les brevets, le droit d'auteur et le droit du producteur de base de données. La solution juridique pour rémunérer les auteurs est d'interdire l'exploitation des oeuvres sans l'accord de leur auteur. Pour les oeuvres artistiques et intellectuelles, l'exploitation signifie la copie, la diffusion ou la représentation. Pour les oeuvres scientifiques, l'exploitation concerne aussi l'usage des oeuvres, comme en témoigne l'exécution d'un logiciel, qui est protégée par le droit d'auteur.

Les scientifiques ont l'habitude de diffuser leurs oeuvres sous "licence", qui est une façon d'accorder un droit d'exploitation à un grand nombre de personnes, sans avoir à négocier avec chacune d'entre elles. La licence est populaire chez les scientifiques, car comme iels perçoivent la plupart du temps un salaire qui ne dépend pas de la vente de leurs oeuvres, ils ont plutôt intérêt à repousser les barrières d'usage pour que leurs résultats soient le plus utilisés possibles. Les seules barrières habituelles concernent la citation, car les scientifiques ont toujours besoin de reconnaissance individuelle, éventuellement l'usage commercial, pour lequel ils se réservent le droit de réclamer une participation.

Si le droit de la propriété intellectuelle n'a pas été conçu pour une protection éthique, mais pour assurer une rémunération aux auteurs, il semble la permettre. En effet, l'exploitation d'une oeuvre a de multiples acceptions, comme on le voit pour l'exécution des logiciels par exemple. Il peut donc être l'instrument de l'interdiction de l'usage de la science à des fins destructrices.

Il existe une restriction importante sur l'usage de ce droit : il protège la forme et non le fond. Une idée scientifique par exemple ne peut être protégée par le droit de la propriété intellectuelle. Seuls les textes des articles, les logiciels, les bases de données et les inventions sont protégeables. Or, l'utilisation d'un résultat scientifique pour une technologie par exemple, ne requiert par l'utilisation du texte d'un article, mais la compréhension et l'utilisation de l'idée qu'il décrit, qui n'est en théorie pas protégée. Cependant il semble que les limites entre la forme et le fond ne soient pas facilement tracées par la jurisprudence. Par exemple, si l'histoire d'un roman est complètement réécrite avec des phrases différentes, la réécriture sera probablement concernée par le droit d'auteur de l'oeuvre originale. Même la reprise d'un personnage dans une autre histoire est concernée par le droit d'auteur. Ce ne sont pas que les suites de mots qui font la forme d'une histoire, c'est une structure, matérialisée dans le texte, qui peut être reprise avec d'autres mots, mais qui était contenue dans le texte original. Le bateau de Thésée est le même bateau même si on lui enlève toutes les planches. La traduction est protégée par le droit d'auteur.

Enfin, si le droit ne protège pas une idée car il ne protège que des oeuvres matérielles, on peut arguer qu'une idée n'existe pas vraiment, ou en tous cas n'est pas communicable, en dehors d'une matérialité visible. Ce qui place une large part de la production scientifique sous la juridiction du droit de la propriété intellectuelle.

Sources :
Gabriel Galvez-Behar, Posséder la science - La propriété scientifique au temps du capitalisme industriel, EHESS 2020
Antoine Defoort, Un faible degré d'originalité 2019 https://www.youtube.com/watch?v=kHPI3YhY8aU
Licences éthiques : https://ethicalsource.dev/licenses/