Une entorse à la science ouverte
Les mouvements du logiciel libre et de la science ouverte sont, tout d’abord, des mouvements de pensées visant à augmenter la diffusion et l’usage d’objets numériques et scientifiques en s’affranchissant des barrières juridiques de la propriété intellectuelle ou des brevets. La science ouverte est aujourd’hui en plein essor et en voie d’institutionnalisation, et reproduit les mêmes débats que le logiciel libre a pu vivre durant ses plus de quarante années d’existence. L'ouverture des données de la recherche est également largement encouragée par les institutions.
Si le principe de la science ouverte, avec ses déclinaisons (articles, données, logiciels) semble inattaquable (partage, ouverture, diffusion sans entrave), il n'en reste pas moins plusieurs bonnes raisons de résister à un mouvement d'ouverture totale et de trouver un meilleur équilibre de gestion du commun scientifique.
- Tout d'abord cette ouverture vient saper un travail historique de la communauté, plus ancien que le mouvement de la science ouverte, qui a abouti à la protection du travail scientifique sous la juridiction de la propriété intellectuelle. Les débats ont été nombreux au XIXe et XXe siècles, ainsi que les résistances (voir le livre de Gabriel Galvez-Behar, Posséder la science). Le fait que la science puisse appartenir à ses producteurs ne plaisait pas forcément à ses utilisateurs potentiels, les industriels.
- Les bénéficiaires de la science ouverte ne sont peut-être pas leurs destinataires de principe. Les scientifiques défendant la science ouverte et ses déclinaisons pensent à un partage sans entrave dans la communauté académique. Certains parlent du grand public sans que cet argument soit vraiment convainquant, étant donné le niveau technique de la plupart des produits de la science. Les économistes, eux, mesurent l'effet sur la croissance du PIB de la science ouverte (voir par exemple l'article de M Fell, The Economic Impacts of Open Science: A Rapid Evidence Assessment, 2019). La science ouverte est théorisé et encouragé comme un facteur de croissance par les économistes et les industriels (voir par exemple le livre de Mariana Mazzucato, L'État entrepreneur).
- Toute gouvernance de commun a besoin d'une "membrane semi-perméable" qui définit les objets, les usages, et la maîtrise qu'on peut avoir de leur production et leur destinée. L'ouverture est en principe un abandon de souveraineté sur sa production.